EXPERTISE AU MOULIN DE LA ROCHE-NOIRE

 

Le trois décembre 1878 nous nous sommes rendus

à neuf heures du matin au moulin de la Roche Noire

Meur Bonnet seul était présent. Madame Vve Charras

et Mr Charras père ne sont arrivés qu’à dix heures

et demie, nous avons pu malgré cela recevoir leurs

observations.

Le moulin de la Roche Noire est mis en mouvement

par une roue à augets de trois mètres de diamètre

environ, fonctionnant sous une chute de mêmes

proportions. Ce genre de moteur qui est l’un des

plus répandus et d’un emploi commun à toute

espèce d’industrie, nécessite la combinaison de

deux rouets1 pour arriver à la vitesse nécessaire au

bon fonctionnement des meules.

Ces rouets sont précisément les pièces qui ont

occasionné l’accident de Chanas.

Depuis l’accident un changement a été fait

à cette même place et à ces mêmes pièces, mais

la disposition actuelle ne change en rien la

situation des lieux. Nous dirons d’abord pour

plus de clarté que par suite de l’accident arrivé

à Charras  Mr Bonnet a dû remplacer son

rouet par un autre rouet identique et de même

diamètre ;  le premier ayant été brisé. Ensuite,

les rouets qui étaient autrefois séparés du reste de

l’appartement par une cloison en planches

(Charras père nous l’indique lui-même) le sont aujourd’hui

par un mur en maçonnerie ; qui en formant

cloison, sert à porter les fers de meule, ce qui

Ne change en rien la  situation des lieux au moment

de l’accident.

Si  nous prenons en détail les pièces du mécanisme

Qui peuvent avoir rapport à l’accident ; nous trouvons

1°- Que le rouet principal dont la denture2 est en

bois et qui est construit d’après les règles ordinaires

du mécanisme, peut fonctionner une semaine entière

sans avoir besoin d’être graissé.

2°- Que le second ou petit rouet n’a jamais besoin.

d’être graissé, attendu que la graisse placée chaque

semaine sur le grand rouet suffit pour les deux.

3°- Nous trouvons également que la pointe de

 l’arbre vertical, roule dans une crapaudine3entourée

d’une assiette contenant 25 centilitres d’huile environ

ce qui est suffisant pour assurer la bonne marche

de cette pièce pendant huit jours au moins.

4°- Nous trouvons ensuite un collier avec coussinets4

en bronze, pouvant se graisser à l’huile ou à

la graisse, et ne demandant qu’un graissage tout

au plus journalier s’il est fait à  l’huile, et

semestriel s’il  est fait à la graisse. Cette pièce

n’est du reste que de peu d’importance.

5°- Le palier5 de la roue motrice peut lui aussi se

graisser à l’huile ou à la graisse blanche et marche

plusieurs jours dans ses conditions. Le graissage de

la plupart de ces pièces qui peut se faire superfi-

ciellement en marche suivant l’adresse et la sûreté

de l’ouvrier, doit être fait au repos pour être

sérieux et convenable, attendu que pour graisser

parfaitement, la pointe en particulier, il ne

suffit pas d’ajouter ou verser de l’huile ou de

la graisse dans les parties qui doivent la contenir

mais il est de toute nécessité d’enlever auparavant

la graisse ancienne qui a perdu ses principes huileux

et qui souvent ne forme qu’une pâte plus ou

moins dense et impropre à cet usage et empêche le

bon effet de la nouvelle graisse.

Nous pouvons ajouter que d’après l’installation

existant au moulin de la Roche – Noire, le levage

des meules ne peut se faire qu’en arrêtant le

moteur. Ce levage occasionne dons un arrêt de

quelques minutes le matin et quelques minutes le

soir pour remettre  la meule en marche. Il

est donc facile à l’ouvrier chargé de l’entretien

des pièces que nous venons de citer de choisir

ces moments d’arrêt pour les visiter s’il le croit

nécessaire et par là éviter tout danger.

D’après les explications et renseignements que nous

Avons entendu de Mr Bonnet ou des ouvriers qui

étaient au moulin à l’époque de l’accident, ainsi

que des personnes qui connaissaient les dispositions

anciennes, nous avons pu nous rendre compte que

les modifications apportées à l’usine depuis l’accident

n’ont changé en rien le danger permanent de

ces pièces principales, pour toute personne qui

s’en approche sans prudence, mais dont l’approche

n’est nullement nécessaire dans les moments de

marche. Il nous est donc permis de regarder

comme inexplicavble l’accident arrivé à Charras

qui était chargé de la surveillance de la mouture

et du mécanisme et rétribué pour assurer le bon

fonctionnement des appareils, et devait veiller

lui-même à ce que les ouvriers sous ses ordres

évitent toute imprudence.

Comme meuniers,  nous croyons devoir mettre à la

connaissance du tribunal que l’emploi qu’avait

Charras au moulin de la Roche-Noire était

l’emploi dénommé dans notre partie : Garde

Moulin premier.

Ces ouvriers sont chargés de la surveillance de

la mouture, du moulin et des ouvriers eux-mêmes

pendant les absences du patron.

Cet emploi ne peut être confié qu’à des personnes

au courant du travail et de la manutention

d’une usine ainsi que de l’entretien du mécanisme

avec lequel il doit être familier et prudent.

Pont-d’Ain le 20 décembre 1878

 

Hercule Jules6

Bellon7

 

Assistance judiciaire

 
 

1Rouet : ici grande roue dentée adaptée à l'arbre de la roue alimentée par les eaux et placée parallèlement et qui anime un second rouet qui lui est perpendiculaire et qui anime le gros fer qui fait mouvoir les meules.

2Alluchon : n.m. dent de bois (acacia, buis, chêne, cormier, frêne, pommier, poirier), plus rarement en fonte, fixée sur un rouet ou sur un hérisson.

3Crapaudine n.f. pièce généralement en alliage (acier doux, fonte, bronze) dont la face supérieure présente un creux qui reçoit l’extrémité effilée d’un axe vertical. Quelques crapaudines en pierre ont été signalées.

4Coussinet : dans un moulin à eau, pièce creusée d’un demi-cylindre sur sa face supérieure pour recevoir le tourillon d’un arbre horizontal. Elle peut être en bois dont le fil sera vertical, en bronze, en fonte et parfois en pierre.

5Palier : 1) support, souvent en bois, du tourillon fixé à l’extrémité de l’arbre moteur dans un moulin à roue verticale ; un coussinet est placé entre le tourillon et le palier. Dans un moulin à roue horizontale, l’arbre étant vertical, le coussinet est remplacé par une crapaudine. 2) Poutre qui reçoit en son milieu le fer de meule. L’une des extrémités repose sur la braie fixe, l’autre sur la braie mobile, ce qui permet un réglage en hauteur de la meule courante.

6Jules Auguste Hercule, meunier à Lantenay puis mécanicien à Maillat

7Mr Bellon maître meunier à Maillat